Par Stéphanie Combe dans le journal La Vie le 9 décembre 2014
La parentalité bienveillante dessine une troisième voie, entre autoritarisme et laxisme. Voici dix clés pour améliorer le climat à la maison.
« La Petite Maison dans la prairie devrait être condamnée », plaisante Sophie Benkemoun, qui a créé en France en 2006 l’Atelier des parents, une méthode formalisée aux États-Unis par Adele Faber et Elaine Mazlish. « La famille Ingalls n’existe pas, assure-t-elle, même chez vos voisins ! » Tous, nous rêvons d’une famille unie. Mais la réalité rime plus souvent avec désobéissance et insolence, bazar et bagarres… Ajuster le curseur n’est guère aisé. « Il est plus complexe d’être parents, souligne la psychologue Nicole Prieur, auteure de Grandir avec ses enfants (l’Atelier des parents), en raison de la multitude de modèles contradictoires, mais surtout parce que l’on est face à soi. Les parents d’aujourd’hui sont amenés à définir leurs propres valeurs ».
Comment transformer le quotidien et la relation quand on n’est pas Mary Poppins ? Pour secourir les parents, les propositions se multiplient : Super Nanny à la télévision, ouvrages éducatifs, ateliers de soutien parental. Le best-seller Parents efficaces, de Thomas Gordon (Marabout) s’est vendu à… six millions d’exemplaires dans le monde. « La parentalité positive émerge en France, mais elle reste méconnue ou décriée », observe la psychothérapeute Isabelle Filliozat, qui a lancé la collection « Parent + » chez JC Lattès et, en septembre, un atelier destiné aux parents. « Beaucoup sont encore jugés, accusés d’être trop doux avec leurs enfants. Or, elle permet de sortir des anciens schémas. »
Renonçant à l’autoritarisme, cette approche prône en effet la non-violence éducative. Elle s’inscrit dans le courant de la psychologie humaniste et positive et s’appuie sur l’écoute des émotions, l’expression des besoins, la gestion des conflits sans gagnant ni perdant et la coopération. Pas de permissivité pour autant : le parent est invité à définir et affirmer ses propres besoins et valeurs, et ne déroge pas au cadre défini. Elle puise dans différentes méthodes de connaissance de soi et de communication : écoute active de Carl Rogers, communication non-violente de Marshall Rosenberg, analyse transactionnelle, etc. « L’idée n’est pas d’obtenir un 17 sur 20 en éducation et de devenir des parents parfaits, rappelle Béatrice Sabaté, psychologue clinicienne et présidente de Discipline positive France, mais d’être davantage en lien avec ses enfants. » Les parents apprennent donc à utiliser certaines clés qui, à défaut d’être magiques, ont le pouvoir d’ouvrir les portes verrouillées et les cœurs fermés. Et plus le trousseau est volumineux, plus on a de chance d’y parvenir !
Faites-vous confiance
« Jeune mère, j’avais l’impression que la nounou se débrouillait mieux que moi, confie Viviane. J’ai mis du temps à prendre confiance en moi. Je savais ce que je ne voulais pas faire, mais faire autrement s’apprend. » Le livre Mon bébé comprend tout (Marabout) a radicalement changé sa façon d’être mère. L’auteure, Aletha Solter, promeut une éducation démocratique, sans punitions ni récompenses. « Elle m’a appris à suivre mon instinct et à m’affirmer face au discours ambiant, du type : “Il fait un caprice”, “Laisse-le pleurer”, “Tu vas en faire un enfant roi”… » « Les parents sont les premiers et les meilleurs éducateurs de leurs enfants », insiste Pascale Morinière, vice-présidente des Associations familiales catholiques. Un courant a laissé croire que des spécialistes étaient mieux placés pour cela. Les parents ont besoin d’être réinvestis dans leur mission d’éducateurs. On a tous en soi le potentiel pour être les meilleurs parents pour nos enfants. Pour autant, on a besoin d’être aidés ! »
Cherchez les besoins
« Derrière une réaction inappropriée se cache un besoin, répète Isabelle Filliozat. Nos interprétations guident notre comportement. Il est donc fondamental de mieux comprendre les motivations des enfants. » Elle montre aussi dans ses ouvrages que nos attentes ne sont pas toujours adaptées à leur maturité. « Pour les parents conscients, une bêtise est considérée comme une façon d’attirer l’attention, explique Viviane. La réponse consiste donc, non pas à punir, mais à consacrer davantage de temps à l’enfant. Raisonner en termes de “besoins” change totalement notre éducation. » La moutarde vous monte au nez ? Res-pi-rez ! « Dans un système familial, chacun a ses protections, ses automatismes, concède Géraldine, trois enfants, qui a suivi les ateliers Gordon. C’est un vrai travail que d’entendre le message de l’autre et son besoin au lieu de réagir et de partir en vrille. »
Accueillez leurs émotions
Pour aider ses enfants à nommer ce qu’ils ressentent, Lucie, 36 ans, utilise depuis un an une grille de sentiments et d’émotions. Une idée piochée à l’Atelier des parents de Tours. « Je l’ai affichée. Le jour de la rentrée, l’aîné l’a consultée avant de nous dire : “Aujourd’hui je me sens curieux et inquiet” ». Sur le frigo, une flèche permet aussi d’indiquer la couleur de sa journée : vert, rouge, orange... « Cela permet à l’enfant de prendre du recul et de faire descendre la pression.» Un mercredi matin, Thomas, 9 ans, refuse d’aller à son cours d’anglais et entre dans une colère noire. « Je me suis assis sur son lit, raconte Arnaud, et je l’ai écouté pendant 20 minutes. Tout y est passé, jusqu’à la menace de la grève de la faim. » Une fois apaisé, l’enfant a lancé, à la grande surprise de son père : « Bon, il faut qu’on y aille sinon je vais être en retard. » « Je n’avais rien dit, commente Arnaud, et je n’ai même pas eu à réaffirmer pourquoi j’y tenais ! »
Pratiquez l’écoute active
« Je ne savais pas pratiquer l’empathie, se souvient Séverine Cavaillès, j’étais tout de suite dans la sympathie : je voulais sauver mon enfant, l’aider, lui trouver des solutions. J’ai appris à être simplement attentive à son sentiment. On n’a pas à sortir l’enfant du trou, c’est à lui de trouver l’échelle qui l’en tirera. » Cessez d’être Papa ou maman solution ! Le dialogue empathique est un art et répond à certaines règles. Il implique de changer nos réflexes : jugement, encouragement, argumentation contradictoire, solutions, etc. L’écoute active permet de comprendre le sentiment qui se cache derrière le message de l’autre. Exemple typique, l’enfant demande : « Quand est-ce qu’on mange ? » Vous interrogez : « Tu as faim ? » S’il répond oui, vous avez compris son besoin. S’il répond non, il précisera qu’il veut savoir s’il a le temps de finir son jeu. En étant réceptif, vous lui permettez d’exprimer réellement son ressenti.
Fixez des limites
Raphaël, 4 ans, saute sur le lit. « C’est stop, maintenant ! Soit tu continues à jouer tranquillement à côté de moi, soit tu sors de la pièce. » Psychologue, Lucie a elle-même reçu une éducation plutôt non violente. Pourtant, « avec mes deux enfants, je perdais parfois le contrôle. Je manquais d’outils pratiques ». Ne pas donner de fessées, on est tous d’accord (en théorie), mais comment user d’une juste autorité ? Ces méthodes ne prônent pas la permissivité. Il y a des règles et toutes ne sont pas négociées avec les enfants. Mais il existe parfois un choix dans les modalités, que l’on peut soumettre dès l’âge de 3 ans. « J’essaie d’être souple sur les émotions et stricte sur le comportement, résume Séverine Cavaillès. C’est l’un des principes du docteur Haim Ginott : toutes les émotions sont légitimes, tous les comportements ne sont pas acceptables. Chaque acte que l’on pose a des conséquences, positives ou négatives. Le savoir responsabilise l’enfant. »
Définissez votre zone d’acceptation
Que faire en cas de conflits de valeurs et de besoins ? Il y a quatre ans, Bertrand et Albane ont suivi la formation Cana parents à Lyon (voir encadré page 27). « Nous avons appris à définir une zone d’acceptation qui est personnelle. Qu’il s’agisse de la coupe de cheveux ou du degré de désordre dans la maison, elle se confronte à l’autre (conjoint ou enfant) et s’ajuste dans un dialogue. » Exemple : leur adolescent est toujours affamé. Selon leurs valeurs, on ne grignote pas entre les repas. Mais ils se sont rendu compte qu’il s’agissait pour lui d’un besoin physiologique. Contrairement à ses sœurs, il a donc désormais le droit d’avaler un bout de fromage. « Attention aux fausses acceptations, prévient Sophie Libaud, responsable des Ateliers Gordon France. À trop vouloir être dans la bienveillance, on risque parfois de s’oublier soi-même. » Un indice ? Votre voix vous trahit : « La voix révèle sa congruence. Lorsqu’on est connecté à son ressenti et à son besoin, on est plus authentique. La structure de la phrase change, ainsi que la tonalité et le rythme. Si on lâche un oui à contrecœur, l’enfant le perçoit toute de suite ! » Tenir compte de ses propres besoins aidera en outre l’enfant à exprimer et respecter les siens.
Jugez où se situe le problème
Face à une difficulté, une question peut vous sauver : « À qui appartient ce problème ? » À trop faire à la place des autres, on finit par porter toute la maison sur ses épaules. Et à s’épuiser. De plus, ce comportement sape l’estime de soi de l’enfant et sa motivation. Combien de fois un jeune vient-il se plaindre à sa mère que « Papa veut pas que… » ? Ne jouez pas les arbitres ! Votre rôle consiste à écouter sa colère, puis à l’inviter à trouver ses propres solutions : « C’est un problème entre papa et toi, je suis sûre que vous allez réussir à le régler. » À l’inverse, si le comportement de l’enfant vous dérange, le problème se situe de votre côté. Il est donc de votre responsabilité d’intervenir.
Privilégiez les solutions aux punitions
La parentalité positive montre combien notre quotidien est marqué par les ordres et les punitions. Or, une punition entraîne les « 4 R », comme les nomme la discipline positive : rancœur, revanche, rébellion et retrait (dissimulation). Remplacez-la par la « recherche de solution ». Jane Nelsen, dans son livre la Discipline positive (Marabout), cite l’exemple d’une fillette de CM2 qui chapardait les crayons de son voisin. On invite la classe à résoudre ce problème. Suggestions des élèves : « Elle devrait être privée de récréation, la maîtresse pourrait la changer de place, on lui confisque sa trousse… » L’animatrice rappelle alors : « Notre objectif est de l’encourager à changer de comportement. Et si on se concentrait plutôt sur les solutions ? » D’autres idées émergent : « Elle pourrait demander à emprunter le crayon, on pourrait faire une boîte à crayons à emprunter pour toute la classe, elle donnerait quelque chose en caution. » Inviter les enfants à trouver des solutions libère leur créativité. Et Dieu sait s’ils sont doués en la matière ! Cette approche est résolument tournée vers l’avenir, contrairement à la notion de « faire payer », typique de la punition, tournée vers le passé (la faute commise). Elle aide l’enfant au lieu de le blesser. Cela n’empêche pas les tentations, ni même parfois les récidives. Mais il saura s’appuyer sur votre confiance pour assumer les conséquences de son acte.
Suscitez la coopération
Vous en avez ras le bol de répéter cent fois la même chose ? Adele Faber et Elaine Mazlish ont défini cinq étapes pour introduire un changement : « Décrivez le problème que vous voyez, donnez des renseignements, dites-le brièvement, expliquez votre sentiment, rédigez une note. » Ainsi, un dialogue idéal serait : « Il y a une serviette humide sur le canapé qui mouille le coussin. Je n’aime pas m’asseoir sur un canapé humide. » En cas de problème récurrent, rien n’est plus efficace qu’un message écrit. « J’ai établi une routine à réaliser le soir après le dîner », témoigne Audrey, deux enfants, près de Tours. Chaque étape est symbolisée par une photo : assiette pour débarrasser la table, lave-vaisselle, brosse à dents, etc. « Au lieu de dérouler tous les soirs le même discours, je me contente désormais d’un “Ta routine !” Une amie l’a fait pour le matin. On ne perd plus d’énergie inutilement. »
Discernez parmi les conseils
Les parents qui ont participé à des ateliers sont unanimes : dialoguer entre pairs fait un bien fou ! La pédagogie des jeux de rôle aide aussi à prendre de la distance avec certaines situations familiales récurrentes et dénoue des nœuds. Pour autant, les outils ne sont pas magiques. « Mon aînée de 18 ans est très secrète, confie Géraldine. Si je pose une question, elle le ressent comme une intrusion. J’essaie d’accueillir ses silences, tout en lui exprimant mon besoin d’avoir plus d’échange avec elle. Le changement est très lent ! » Comme le souligne Nicole Prieur : « Le rôle des parents consiste à personnaliser leur éducation en fonction de l’enfant. Les méthodes fournissent des outils et non des principes. Il revient aux parents de définir leurs propres principes, qui donnent la direction, et de s’approprier certains outils qui les aideront à tenir le cap. »
Source : http://www.lavie.fr/famille/education/10-cles-pour-une-education-positive-09-12-2014-58637_415.php
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